<RETOUR SUITE>
“ Désormais , moi , Winzer Deling , ayant accompli la mission
pour laquelle vous m’avez élu , jure de tout faire pour rendre
à notre pays sa renommée internationale mais également
nationale . Car le pays vainqueur est divisé de l’intérieur
. Il ne peut y avoir pire ennemi que celui sur son propre sol . A quoi
bon avoir gagné sur Esthar si nous ne sommes pas capables d’assumer
notre sécurité contre nous-même .
- Et le nous-même , c’est lui rit de plus bel Franck .
“ C’est pourquoi je vais dès aujourd’hui prendre
des mesures draconiennes pour rétablir la paix , l’ordre
et la sécurité dans notre pa...”
Le rédacteur n’écouta même pas la fin du discours
puisqu’il éteignit la télé . Il repensa à
la lettre de Laguna disant qu’Adel avait été éliminé
. Esthar s’était donc tout simplement repliée sur
elle-même et Deling avait profité de ce silence pour s’auto-proclamer
vainqueur .
Le bonheur de l’un faisait le bonheur des autres .
Dehors , un bruit de mitrailleuse lui indiqua que d’autres résistants
venaient de se faire descendre par les soldats galbadiens tandis qu’il
ouvrait le courrier . Il alluma une cigarette en lisant les habituelles
publicités et habituelles plaintes . Par contre , il lâcha
sa cigarette lorsqu’il parcourut des yeux la dernière .
“ Le gouvernement Galbadien a le regret de vous annoncer la suppression
de votre journal au vue de ses articles montrant des relations étroites
avec l’ennemi “ .
Il écrasa du pied la cigarette . Et bien , le Timber maniacs serait
désormais un journal clandestin . Le bonheur des uns faisaient
aussi le malheur des autres .
N’est-ce pas , Raine .
Chapitre 6 : Le plus beau jour de ma vie
- Pourquoi je peux pas rester avec toi ?
Ellone ne mâchait pas ses mots pour dire à Laguna ce qu’elle
pensait . Ce dernier se gratta la tête .
- Raine t’attend . Et puis ...
- Zelle est où . Z’est une jonte de la baire parbir .
Geyser se ramenait en courant avec les bras remplis d’instruments
électroniques qui tombèrent aux pieds d’Ellone .
En effet , le docteur avait freiné brutalement des deux pieds
en voyant la petite .
- Ellone n’est sûrement pas une expérience fit Laguna
en demandant à deux gardes du palais présidentiel de l’envoyer
dans son labo .
- Pourquoi tu viens pas avec moi ? s’entêta-t-elle .
Ce dernier soupira et s’agenouilla pour être à sa
hauteur . Machinalement , il lui caressa les cheveux . Bon sang , il
ne pouvait pas faire autrement .
- J’ai trop de responsabilité pour l’instant . Mais
je vais démissionner . On n’a pas demandé mon avis
. Je suppose que l’on comprendra . Dis à Raine que j’arrive
bientôt , d’accord ?
Ellone fit la moue et n’embrassa même pas son oncle favori
tandis qu’elle embarquait dans une voiture estharienne sous escorte
présidentielle . Laguna regarda la voiture s’éloigner
. Il se rappelait les films qu’il avait tourné où
les clichés montraient des scènes inverses . Le héros
arrivait en voiture et les siens l’attendaient . Cette scène
se réaliserait dans quelques semaines . Maintenant , il lui fallait
attendre encore peu . C’était étrange comme impression
. Il avait l’impression d’avoir achevé une page de
son histoire lui aussi et il attendait la suite . Et cette suite , il
eut un sourire en l’imaginant . Raine viendrait le serrer dans
ses bras . Ellone ne lui ferait plus la tête pour l’avoir
laissée repartir toute seule . Mais il avait tellement de chose
à faire . On l’acclamait comme un héros , comme
celui qui allait montrait une nouvelle voie à ce pays . Il parcourut
du regard cette ville faite de tube , de métal et de gens ayant
retrouvés la voix de vivre . Il était soi-disant le sauveur
et il allait restaurer tout ça . Mais le “ tout ça
“ , il n’en voulait pas . Ici , c’était comme
une autre planète et elle lui était étrangère
. Lui , sa planète s’appelait Winhill . Il allait bientôt
y retourner une fois qu’il aurait donné sa démission
. Les gens ne comprendraient pas . Tant pis . Après tout , il
avait droit au bonheur , lui aussi . Non ? Si , il y avait droit . Il
avait le droit d’avoir une famille et de se poser quelque part
sur cette planète .
Oh , Laguna , tu es un garçon bien . J’aimerais tant que
tu te trouves une femme et que tu t'installes .
Oui , grand-mère , bientôt , il s’installerait définitivement
avec Raine et Ellone . Kyros et Ward pourraient venir eux aussi s’ils
le voulaient . Qu’aurait-il fait sans eux ? Aujourd’hui
, enfin , ses rêves allaient se réaliser . D’ailleurs
, c’était un signe , qu’il n’avait pas revu
la fée . Plus tard , il raconterait tous ces voyages à
ses autres enfants . Après tout , oui d’autres enfants
. Le pub serait envahi des rires des enfants , de leurs enfants .
- Alors , les séparations ?
Laguna se retourna pour voir ses deux ombres inséparables . Il
leur fit son plus sourire .
- Dans quelques semaines , les gars , je retournerai à Winhill
. Ça vous dit ?
Ward lui fit son regard serein et Kyros mit un certain temps pour répondre
.
- Fini les vadrouilles autours du monde alors ? Tu vas enfin te poser
.
Laguna lui fit sa danse de la victoire comme à chaque fois qu’il
gagnait un combat .
- Tu crois tout de même pas que je vais rester ici . Non , mais
franchement , vous me voyez comme président ?
L’écho du rire des amis se perdit au milieu de la ville
d’Esthar qui s’endormait pour une longue nuit , la plus
longue de la vie de Laguna . Au loin , une silhouette en robe rose les
observait de ses grands yeux verts .
- Pardon , Laguna . Pardon .
Le petit village de Winhill ne sut comment réagir lorsqu’on
vit arriver sur la côte un bâtiment inconnu . Quand d’anciens
militaires reconnurent les esthariens , on crut que la guerre recommençait
. Cette fois , on allait brûler leur village comme ils le faisaient
au tout début de la guerre . Après tout , chacun se souvenait
du massacre d’un village sur la côte ouest du pays . Le
village de Loréna ou un nom comme ça. Tout le monde s’en
rappelait encore .
C’est la fin du village , les esthariens arrivent , il faut évacuer
. Les femmes et les enfants d’abord . La panique s’était
très vite installée dans le village et elle fut à
son apogée lorsqu’on apprit que le navire avait accosté
pour marcher sur Winhill .
- Raine , bon sang , il faut partir .
La fleuriste s’était inquiétée pour sa charmante
voisine et elle était venue la chercher . Elle rentra dans le
pub fermée depuis un mois maintenant . Elle regarda les voisins
de la maison en face faire leur bagage . Bon sang , pourquoi , à
la télé , on leur avait dit que la guerre était
finie ?
Elle monta quatre à quatre les marches menant à l’étage
.
- Oh , mon dieu .
Elle ne sut quoi dire en voyant la jeune femme très pâle
étendue sur le canapé . Pas maintenant tout de même
, pas maintenant .
- Je crois que c’est pour maintenant , parvient-elle à
sourire malgré le front couvert de sueur .
- Vous ne pouvez pas accoucher maintenant , Raine . Les esthariens arrivent
. Il faut partir d’ici . Ceux d’en face font déjà
leur bagage .
- La guerre est ... Finie parvient elle à dire .
La vieille femme parvient à dire à son amie qu’elle
allait chercher de l’aide . Elle redescendit les marches aussi
vite qu’elle les avait montées . C’était vraiment
pas le bon moment pour accoucher . De toute façon , ce n’était
jamais le moment pour ça . Il fallait bien que ça arrive
. Mais tout de même , maintenant . Elle descendit à la
caserne où se trouvaient encore des soldats galbadiens .
- Monsieur , venez vite , une femme est en train d’accoucher .
Ce dernier était en train de charger de divers paquets un camion
, aidé par ses collègues . Les armes , le matériel-radio
, les rapports . Vite , il fallait faire vite .
- On a pas le temps fit le soldat d’un ton ne prêtant à
aucun discussion .
- Mais vous ne m’avez pas compris , soldat s’inquiéta-t-elle
. Là-bas , fit-elle en désignant du doigt le petit pub
, mon amie accouche . Et c’est son premier enfant .
Le soldat regarda la maison et personne ne pouvait lire la lueur d'hésitation
dans son regard à cause de sa visière . Un silence s'installa
au milieu de ce climat de phobie . La guerre reprenait . Mais il y a
une semaine , le président avait dit que la guerre était
finie .
- Amenez-la ici . On peut l’emmener . Mais on part tout de suite
.
- Une femme sur le point d’accoucher , vous voulez l’emmener
fit la vieille dame incrédule . Vous voulez la tuer ? Fit-elle
d’une voix impuissante .
- Ecouter , Madame , fit le soldat en uniforme impeccable et perdant
patience , nous avons reçu des ordres . Nous n’avons pas
le matériel nécessaire pour lutter contre l’ennemi
. On nous avait dit que la guerre était finie . On a donc rapatrié
tout le matériel sur la capitale et Timber . Dans cette situation
, mon supérieur nous a dit d’éviter l'affrontement
et d’aller se réfugier dans les bois . Nous pouvons vous
emmener mais c’est maintenant .
La vieille dame porta une main tremblante pour la mettre devant sa bouche
afin de ne pas exploser en larme . Raine était en train d’accoucher
mais on lui faisait comprendre que , soit elle partait maintenant ,
soit elle restait . Mais si elle partait , cela serait fatale pour elle
et le bébé .
- Eh , Wedge , c'est maintenant qu’on part . Tu nous retardes
à blablater fit un autre soldat .
- C’est maintenant , Madame fit le soldat en tendant une main
à cette inconnue pour l’aider à monter dans le camion
.
Elle regarda cette main . Par réflexe , elle allait la saisir
. Mais un regard sur le pub l’immobilisa. Elle regarda autours
d’elle . On évacuait le village car l’ennemi arrivait
. C’était un cauchemar , mon dieu , c’est un cauchemar
, faites que je me réveille .
- Soldat , ce soir , j’espère que vous pourrez vous regarder
dans une glace en sachant que vous avez laissé derrière
vous ...
- Mais montez bon sang tenta-t-il .
- Deux femmes et un bébé ... Un bébé qui
ne demande qu’à naître .
Elle ignora cette main tendue . Elle la repoussa loin d’elle .
Puis elle s’élança au milieu du village abandonné
. Le camion lui allait se mettre à l’abri , comme tout
le restant du village . Et bien tant pis pour elle , soupira le soldat
.
Raine fut rassurée lorsqu’elle reconnut au rez-de-chaussée
le bruit de pas léger de la fleuriste . Mais un cri se perdit
dans sa gorge lorsqu’elle la vit remonter ... Seule .
- Et les autres ?
- Partis dit-elle simplement d’un ton maîtrisé malgré
son inquiétude grandissante . Mais ne vous en êtes faites
pas Raine , je suis là .
Elle ne sut quoi dire , elle ne sut quoi faire . Une larme perla à
son oeil en constatant que son amie était restée là
, et juste pour elle alors que tout le monde avait fui . Pourtant ,
elle réussit à sourire en serrant la main de cette femme
agenouillée près d’elle . Accoucher toute seule
. C’était bien la dernière chose qu’elle aurait
voulu . Laguna n’était pas là , ni Ellone . Sa grossesse
s’était déroulée ... Toute seule , loin du
père . Cela avait était si dur . L’attente , ne
pas savoir où ils étaient .
- Merci .
- Ne vous en faites pas . Je sais comment se passe l’accouchement
. J’ai eu quatre enfants dans ma jeunesse . Mais ils ne sont plus
.
Maudite guerre , murmura-t-elle dans ses dents tandis qu’elle
encourageait son amie en serrant sa main . Elle ne s’y connaissait
pas vraiment mais c’était mieux que rien . Il faudrait
faire avec.
Raine sentait son ventre se déchirer . Le monde pouvait s’écrouler
autours d’elle , elle s’en fichait . Oui , elle s’en
fichait , car son monde , c’était cette maison remplie
de souvenirs , c’était cet enfant qui allait naître
. La voix de sa voisine lui parvenait lointaine tandis qu’elle
essayait de maîtriser les contractions qui se faisaient de moins
en moins espacées . Ne pas aller contre la douleur . Ne pas résister
. Mais c’était plus fort qu’elle . Il n’était
pas dit qu’elle laisserait la douleur l’envahir . Non ,
elle serait plus forte que la douleur . Elle l’avait promis à
elle , à Laguna peut-être aussi . Elle serait forte . Elle
ne pousserait pas un cri . La première chose que son enfant entendrait
de ce monde ne serait pas un cri de douleur .
- Bon sang , Raine , cesser de lutter contre la douleur . Vous vous
faites encore plus mal . Essayer de penser à autre chose .
A quoi ? A qui ? Laguna . Ellone . Non , elle ne devait pas y penser
. Elle ne devait pas . On ne vit pas avec le passé . Il faut
vivre le présent . Et le présent , c’était
cet enfant qui voulait naître. Cet enfant . Et le futur ? Elle
ne préférait même pas y penser . Penser au présent
, c’était déjà très bien .
C’était bon d’entendre les mouettes . Les monsieurs
qui devaient la protéger sur ordre d’Oncle Laguna lui avaient
dit que c’était signe que la terre était toute proche
. L’escorte estharienne avait été affectée
spécialement pour cette mission par le nouveau président
Laguna Loire . Mais ils s’inquiétaient de l’enthousiasme
de cette petite.
La terre , elle était toute proche . Elle courut chercher les
jumelles et ses deux petites mains les souleva difficilement . Mais
elle eut un rire de joie lorsqu’elle vit se dessiner les côtes
de Winhill . Chez elle , elle était chez elle . Elle balança
les jumelles par-desssus son épaule pour courir vers la proue
du navire . Oui , chez elle . Elle allait pouvoir embrasser Raine ,
lui dire que Oncle Laguna allait bientôt arrivé . Ellone
fut la première à sauter sur la terre ferme et les soldats
crurent qu’ils allaient faire une crise cardiaque devant les imprudence
de cette fille de quatre ans presque . Enfin , enfin , elle y était
, elle y était .
Elle regarda le paysage familier . Tiens , cet arbre avait grandi depuis
qu’elle était partie . Ça faisait combien de temps
d’ailleurs qu’elle était partie?. Elle s’en
fichait , elle s’en fichait . Ce qui comptait , c’était
aujourd’hui . Oui , c’était aujourd’hui .
Les soldats esthariens durent se dépêcher de finir d’accoster
pour rattraper la fillette qui était déjà partie
toute seule en avant . Bon sang , cette fille était pire qu’une
escouade de galbadien. Elle mit peu de temps à pouvoir distinguer
les premières maisons de Winhill . Elle rit de joie . Oncle Laguna
n’aimait pas qu’elle aille aussi loin dans le village lorsqu’elle
était petite à cause des monstres .
Elle se dirigea vers la porte de la première maison . Elle l’ouvrit
. Elle ne vit personne . Ils étaient partis ?
- Notre arrivée a dû les effrayer . Après tout ,
ça ne fait qu’une semaine que la guerre est finie . Les
villageois ont dû croire qu’on était venu les attaquer
comme la dernière fois .
La petite fille dévisagea le soldat . Mais c’était
quoi cette chose dont tout le monde parlait , la guère ? Mais
elle s’en fichait . Tout ce qu’elle voulait , c’était
voir Raine .
Maintenant , elle marchait en se collant à l’un des soldats
esthariens . Elle ne courait plus . C’était vraiment son
village , cet amas de maisons abandonnées à la va-vite
? Ou alors , c’était une immense partie de cache-cache
et ils devaient trouver les habitants ? Ellone ne comprenait plus rien
.
Finalement , elle se remit à courir lorsqu’elle arriva
devant le pub . Hourra , elle était chez elle , elle était
chez elle . Et Raine ne pouvait qu’être là . Raine
ne pouvait être que là .
Cela allait mal se finir , elle le sentait .
Raine , trop occupée à maîtriser les douleurs des
contractions n’y avait pas fait attention . Mais elle , elle les
avait bien entendu . Des bruits de pas dans la rue . Elle doutait que
c’était les soldats galbadiens revenant pour les aider
. Alors ? L’ennemi ? L’ennemi . La fleuriste jeta un coup
d’oeil par la fenêtre mais recula très vite lorsqu’elle
ne reconnut pas les uniformes rouges ou bleus de leurs soldats .
- Qu’est-ce qu’il ...y a ?
- Ce n’est rien , Raine . J’avais cru entendre quelqu’un
revenir .
Raine avait bien senti le changement d’intonation dans la voix
de la fleuriste . Bon sang , il se passait quelque chose . Le bébé
. Le bébé ?
- Le bébé ?
- Il n’est pas encore sorti .
Bon sang , elle n’y connaissait pas grand chose mais elle avait
l’impression que Raine perdait beaucoup de sang . Raine poussa
encore . Elle avait mal . La douleur était désormais comme
une sorte d’ivresse et elle n’avait même plus la force
de crier . Seuls des gémissements se perdaient dans le village
fantôme depuis trois longues heures maintenant . Elle n’en
pouvait plus . Pourquoi se battait-elle ? Elle n’en pouvait plus
. Epuisée . Pourtant , c’était la dernière
ligne droite . La dernière ligne droite . Et ce pub entendrait
de nouveau des pleurs d’enfants . Plus que la dernière
ligne droite et cet endroit revivrait avec une nouvelle vie . Et elle
n’attendrait plus toute seule le père et la soeur .
- Raine , Raine , sourit la fleuriste malgré ses mains tachées
du sang de son ami . Je vois la tête . Je vois la tête .
Allez-y , vous y ....
Elle vit la voix de son amie s’éteindre . Non , le bébé
. Elle avait beau pousser , rien n’y faisait . Rien n’y
faisait . Elle ne pouvait pas aller plus loin .
- Raine , écoutez-moi fit-elle en avalant péniblement
sa salive . Je crois que le cordon ombilical empêche l’enfant
de sortir .
- Rose ou violette ?
- Quoi ?
Elle délirait à parler de fleur .
- La tête cria-t-elle de ses dernières forces tandis qu’elle
essayait de reprendre son souffle .
- ... Rose .
Elle sentit le soulagement de Raine . Cette fois , c’était
une question de secondes . Si la progression de l’enfant continuait
comme ça , il allait s’étrangler avec le cordon
ombilical qui entourait son petit cou . Car elle avait menti . La tête
de l’enfant était semi violette . Elle chercha machinalement
quelque chose . Elle se dirigea vers la travailleuse de Raine pour prendre
des ciseaux à couture et les désinfecta avec les moyens
du bord . Bon sang, ils étaient dans un pays censé être
moderne mais ce qu’elle allait faire était ce que l’on
faisait deux siècles auparavant . Ses mains tremblaient et elle
avait beau essayait de se calmer , ses mains tremblaient de plus belles
.
Finalement , elle s’agenouilla . Elle fit mentalement une prière
les yeux fermés . Puis elle tendit le couteau cherchant ce morceau
qui reliait Raine et le bébé étranglant ce dernier
. Elle sentait le sang chaud sur ses mains et retint une grimace de
dégoût .
La future maman ne comprenait pas . Elle ne comprenait plus . Sa voisine
bougeait mais rien que le fait de soulever sa tête pour deviner
ce qu’elle faisait la lançait .
Soudain , le bruit du grincement de la porte du pub les fit taire toutes
les deux . La fleuriste osa à peine respirer et elle n’eut
même pas le courage de regarder Raine . Cette dernière
se prit le ventre à deux mains pour étouffer le cri de
douleur après une contraction plus forte que les autres . Et
elle , elle ne pouvait pas bloquer sa respiration . Au contrairement
, elle respirait très vite , d'une manière presque sifflante
pour reprendre son souffle , pour essayer d’atténuer la
douleur . Car elle avait senti un corps étranger s'infiltrer
en elle . Elle avait senti quelque chose se rompre en elle . Elle avait
eu un haut-le-coeur en voyant la petite forme inerte dans les bras de
la voisine .
Raine se sentait si faible . Elle enregistrait les événements
et les regardait comme si elle n’était qu’une spectatrice
. Ce n’était pas elle , cette femme épuisée
. Ce n’était pas son fils , cette forme inerte . Pourquoi
la fleuriste le tenait par les pieds pour lui taper dans le dos ?
Mais , surtout , elle entendait distinctement qu’il y avait des
personnes au rez-de-chaussée . Mon dieu , les esthariens . Pourquoi
maintenant , pourquoi maintenant ? Elle avait pourtant tout fait . Elle
avait tout fait pour ne pas montrer son angoisse grandissante à
Laguna et à ses amis lorsqu’ils étaient partis .
Elle endurait avec stoïcisme et patience cette grossesse malgré
le fait qu’ils n’étaient pas là . Et maintenant
, elle ne savait plus où elle en était .
C’est un gémissement qui l’arracha de cet rêverie
. Les pleurs d’un enfant . Mais pas les premiers cris auxquels
on s’attend . Simplement un cri pour dire “ Je suis là
“ . Un cri comme si c’était une simple formalité
à remplir pour vivre . Un cri . Un cri . Elle aurait voulu crier
de bonheur . Grâce à cet enfant , elle n’allait plus
être seule . Pourtant , le bonheur se mêlait au retour amère
du présent car les esthariens arrivaient . Bon sang , ils n’avaient
pas suffisamment gâché leur vie à elle et à
Ellone ? Mais elle ne pleurerait pas . Non , elle ne pleurerait pas
. Jusqu’au bout , elle se battrait . Elle leur dirait : “
Regarder , voici mon fils et lui , vous ne me l'enlèverez pas
. “ Vous ne l'enlèverez pas . Elle aurait voulu crier sa
détermination à se battre , à vaincre jusqu'au
bout . Mais pour une fois , elle se sentait lasse , si lasse . Un jour
ou l’autre , il vaudrait qu’elle baisse les armes . Mais
cela ne serait pas aujourd’hui . Non , elle ne pleurerait pas
de tristesse le jour de la naissance de son fils .
- Raine , c’est moi . Raine .
Raine s’étonna qu’elle versa une larme . Elle avait
promis de ne pas admettre sa défaite en se laissant aller à
pleurer . Mais elle pouvait admettre sa victoire en versant une larme
de joie et en serrant la petite contre elle . Elle oublia tout autours
d’elle . Elle oublia que sa voisine était là tenant
son fils désormais bien vivant , que c’était peut-être
encore la guerre et que l’ennemi se tenait devant elle , chez
elle . Elle serrait juste Ellone .
Ellone , douce petite Ellone . Ici , à la maison , comme une
famille . Elle sourit .
- Mission accompli , jugea le soldat , on peut rentrer maintenant à
Esthar .
La fleuriste n’en revenait pas . Elle avait cru que sa vie s’arrêterait
ici , au même moment où elle avait réussi à
ramener ce petit gaillard à la vie . Non pas ramener à
la vie , amener à la vie . Ta vie commençait , petit homme
, juste au moment où Ellone surgissait comme un diable de sa
boîte au milieu ....d’esthariens ?
- Mais ... La guerre ?
- Elle est bien finie , Madame .
- C’est qui , lui ? Demanda Ellone à Raine en voyant la
petite forme gigoter dans les bras de la fleuriste .
Les soldats comprenant la situation , jugèrent plus diplomate
d’attendre en bas . Raine riait , elle riait de joie , de délivrance
. Elle tendit les mains pour prendre l’enfant . Son fils . Notre
fils , Laguna .
- Lui , c’est ton petit frère si tu le veux bien .
Ellone regarda l’enfant gigoter . Il avait la peau toute plissée
. Il avait encore quelques gouttes de sang sur la peau . Ses mains s’ouvraient
et se refermaient dans le vide . Mais plus que tout , ses yeux étaient
de la même couleur d’eau que ceux de sa mère . Ellone
battit des mains . Un petit frère , elle avait un petit frère
.
Raine eut un sourire malgré toute sa fatigue en tendant l’enfant
avec d’infinies précautions à Ellone aidée
de la fleuriste . Les yeux de la petite n’avait jamais débordé
autant de joie . Elle avait grandi , la petite Ellone , dut-elle constaté
. Un an et demi en plus . Cela allait donc lui faire bientôt quatre
ans .
- Et ... Laguna ? S’inquiéta-t-elle .
Ellone eut une moue adorable .
- Oncle Laguna va bientôt revenir . Mais il avait des choses à
faire . Il est prési quelque chose d’Esthar , ah oui présidan
. Mais il va bientôt revenir précisa-t-elle tout de même
.
Malgré la fatigue , le regard d’Ellone croisa celui d’étonnement
de la fleuriste .
Raine regarda la scène se dérouler sous ses yeux . Elle
n’avait jamais osé espérer cela . Ellone tenant
leur enfant . Ellone chez eux avec ce petit bout d’homme .
Elle sentit une larme couler une fois de plus sur son visage malgré
son faible sourire fatiguée . Alors il avait réussi .
Il avait tenu ses promesses . Il avait ramené Ellone et elle
était arrivée le jour de la naissance de ... Et son nom
? Quelle idiote elle faisait . Elle n’avait pas penser à
lui trouver un nom . Cela ne lui avait même pas effleurer l’esprit
.
- Raine , tu es malade ? Tu es toute blanche .
Elle entendit les pas précipitées de la fleuriste qui
descendait quatre à quatre les escaliers tandis qu’Ellone
lui rendait le petit . Elle était fatiguée . Elle ne sentait
même pas le poids du bébé au creux de ses bras .
- Un médecin , vite aller me chercher un médecin .
Soudain , elle crût être victime d’une hallucination
lorsqu’elle vit une silhouette juste en face d’elle . Elle
avait une robe rose et ses cheveux coiffés en natte étaient
attachés avec un ruban rose . Mais ce fut ses yeux surtout qui
lui parurent irréels . Il y avait une tel tristesse en eux .
Pourquoi cette femme pleurait-elle ? D’un coup , cette description
lui rappela quelque chose . Bien sûr , la fée .
- Alors mon fils a la protection des fées .
Elle entendit comme un murmure venant d’en bas des bruits de pas
précipités . Pourquoi tout le monde paniquait en bas ?
Elle vit la fleuriste remonter . Sa vision se troubla quelques instants
. Un soldat emmena Ellone. On voulut aussi prendre l’enfant .
Mais la fleuriste lui fit non de la tête .
- Tout va bien , Raine . Un médecin arrive .
- Bien sûr ... Sourit-elle .
Elle attarda son regard sur cette silhouette . Elle avait l’impression
qu’elle était la seule à la voir . D’ailleurs
, elle n’arrivait à fixer son regard que sur une seule
chose sinon , la douleur reprenait . Pourtant , elle avait accouché
. Elle n’aurait plus dû avoir de douleurs . Pour une fois
, elle laissait la douleur l’envahir , la bercer comme si c’était
elle l’enfant . Oui , pour une fois , elle pouvait se laisser
aller à baisser les armes , à laisser couler les larmes
et à reconnaître la douleur . Car elle avait gagné
.
- Je suis désolée , Raine , murmura la silhouette en rose
, tellement désolée .
Un médecin était arrivé , apeuré à
l’idée de savoir ce qu’aurait pu faire les esthariens
s’il ne les avait pas suivis pour soigner une malade . Il eut
un regard de pitié en voyant Raine .
- Hémorragie interne . Il est trop tard pour intervenir .
Désolée , pourquoi cette jeune fille était désolée
? Pourquoi elle était désolée ? Pourquoi était-elle
triste ?
- Parce que ... La voix s’étouffa dans sa gorge .
- Parce que quoi ? Fit Raine curieuse .
Soudain , elle rit de sa méprise . La réalité commençait
à faire le jour dans son esprit .Bien sûr, on ne pose pas
la question de savoir pourquoi on est désolé . La réponse
était ...
- Parce je suis en train de mourir fit-elle en jetant l’un de
ses derniers regards à la fenêtre pour observer le ciel
bleu .
Puis elle regarda de nouveau cette jeune fille . Si la mort ressemblait
à cette jeune fille , alors elle était vraiment douce
... Et compatissante .
<RETOUR SUITE>
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